À quelle personne écrire son roman ?
Quand on écrit un roman, une des premières décisions (et pas des moindres) est celle du point de vue narratif. Faut-il choisir la première personne, ce "je" immersif qui plonge le lecteur dans les pensées du personnage principal ? Oser le tu ? Ou bien opter pour une narration à la troisième personne, qui offre du recul et une vision plus large des événements ?
3/5/20255 min read


Petit tour d'horizon entre le choix du "je", du "il" ou "elle", et pourquoi pas du "tu" dans un roman !
Pourquoi choisir la première personne ?
Je me suis posé la question en écrivant mon dernier roman. Au départ, le "je" s’est imposé naturellement : une proximité immédiate avec mon personnage, une immersion totale dans ses émotions. Et ce bouquin est une autofiction, donc c’était une évidence. Mais en avançant, j’ai ressenti le besoin de prendre du recul, de respirer. Alors, j’ai essayé le "elle". Cette distance nouvelle m’a permis d’avoir une autre perception de mon histoire, d’explorer mon personnage autrement, presque comme une observatrice extérieure. Pourtant, après cette parenthèse, je suis revenue au "je" — plus convaincue que jamais.
Utiliser le "je", c’est inviter le lecteur à partager chaque pensée, chaque doute, chaque frisson du personnage principal. Ce point de vue crée une connivence immédiate, une impression d’intimité parfois troublante. On vit l’histoire de l’intérieur, on ressent tout "en temps réel".
📖 Exemple : "Je cours dans la rue, essoufflée. Derrière moi, les pas se rapprochent. Mon cœur cogne dans ma poitrine. Je sais que, si je me retourne, je vais voir son visage. Alors je ne me retourne pas."
Le lecteur vit l’action avec le personnage, ressent son angoisse, sans savoir ce qui l’attend.
Mais cette force est aussi une contrainte : on ne peut voir que ce que le narrateur perçoit, entendre ce qu’il entend, savoir ce qu’il sait. L’auteur doit ruser pour distiller certaines informations et jouer avec ce que le narrateur ignore, ou croit savoir.
Pour compliquer le tout, un autre choix vient alors s’ajouter : faut-il écrire au passé ou au présent ?
Le passé offre une narration plus posée, presque rétrospective. L’histoire semble déjà écrite, le narrateur a du recul sur les événements.
📖 Exemple : "Je courais dans la rue, essoufflée. Derrière moi, les pas se rapprochaient. J’ignorais encore que ce n’était pas lui qui me poursuivait." → le narrateur sait ce qui va arriver et peut jouer avec l’ironie dramatique.Le présent, lui, intensifie l’action et l’immersion : tout se déroule sous nos yeux, sans filet.
📖 Exemple : "Je cours dans la rue. J’essaie d’accélérer, mais mes jambes flanchent. Mon cœur cogne. Je vais tomber." → plus immédiat, plus intense, mais exige une rigueur pour éviter la monotonie.
Les genres de romans qui utilisent souvent la première personne :
✅ Les récits autobiographiques et autofictionnels
Quand un auteur raconte sa propre histoire, ou une histoire inspirée de faits réels, le "je" semble souvent incontournable. Il permet de donner une voix forte au narrateur et d’ancrer le texte dans une subjectivité assumée.
📖 Exemple : L’Amant de Marguerite Duras.
✅ Les romans introspectifs et psychologiques
Le "je" est idéal pour explorer les pensées et les émotions d’un personnage en profondeur. Il est souvent utilisé dans des récits où l’évolution intérieure est au cœur de l’intrigue.
📖 Exemple : L’Étranger d’Albert Camus.
⚠️ Les limites du "je"
Avec la première personne, on est enfermé dans le point de vue du narrateur. Tout ce qui se passe hors de son champ de perception est inaccessible, ce qui peut être une contrainte pour certains types d’intrigues, notamment les romans à suspense ou ceux avec une narration multiple.
Pourquoi écrire à la troisième personne ?
Avec la troisième personne, on peut jongler entre plusieurs personnages, varier les points de vue, introduire des éléments que le protagoniste ignore. Cela permet aussi de jouer sur différents degrés de proximité :
La focalisation interne : le lecteur perçoit les événements à travers les pensées et émotions d’un personnage.
📖 Exemple : "Elle sentait la sueur couler le long de son dos. Son souffle devenait court. Pourquoi personne ne l’aidait ?"La focalisation externe : le narrateur décrit la scène sans entrer dans la tête des personnages.
📖 Exemple : "Elle accéléra le pas. Ses mains tremblaient. Derrière elle, un homme suivait le même chemin, à distance."La focalisation omnisciente : le narrateur sait tout et peut passer d’un personnage à l’autre.
📖 Exemple : "Elle courait, persuadée d’être poursuivie. Lui, de son côté, se demandait pourquoi elle regardait derrière elle avec cette expression de panique. Il hésita à l’interpeller."
Les genres de romans qui utilisent souvent la troisième personne :
✅ Les romans à intrigue complexe
Lorsqu’un roman met en scène plusieurs personnages avec des points de vue variés, la narration à la troisième personne permet d’alterner entre eux sans confusion.
📖 Exemple : Les Misérables de Victor Hugo.
✅ Les thrillers et romans policiers
Le suspense est souvent mieux géré avec une narration externe, qui permet de donner des indices au lecteur sans les révéler aux personnages.
📖 Exemple : Millénium de Stieg Larsson.
⚠️ Les limites de la troisième personne
Elle crée une distance plus grande avec le lecteur, ce qui peut être un frein si l’on cherche une immersion émotionnelle forte. Toutefois, en jouant avec la focalisation interne, on peut tout de même offrir une certaine proximité avec les personnages.
Et si j’écrivais à la deuxième personne ?
Moins courante, la narration à la deuxième personne ("tu") est un choix audacieux qui interpelle directement le lecteur. Elle donne l’impression que le narrateur s’adresse directement au lecteur, créant une proximité troublante, voire une immersion forcée. On la retrouve dans Aura de Carlos Fuentes, où le "tu" plonge le lecteur dans une atmosphère envoûtante et mystérieuse, ou encore dans Adieu Tanger de Salma El Moumni, où il sert à interroger l’identité et les souvenirs. Ce choix narratif, peu conventionnel, peut renforcer une tension psychologique ou créer un effet d’adresse puissant.
📖 Exemple : "Tu cours, le souffle court. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu es sûr d’être en danger. Derrière toi, quelqu’un approche. Que vas-tu faire ?"
⚠️ Les limites de la deuxième personne
Ce style peut être difficile à maintenir sur un roman entier, sous peine de lasser le lecteur ou de perdre en fluidité. Je m’en suis servi dans mon roman, à petites doses, pour le second personnage principal, auquel s’adresse la narratrice.
Finalement, à quelle personne écrire son roman ?
Le choix du pronom dépend donc du type de roman que l’on écrit, mais aussi de l’effet recherché. Parfois, on ne réfléchit pas, on écrit sans se poser cette question.
Dans mon cas, après avoir tâtonné entre le "je" et le "elle", j’ai fini par revenir à la première personne. Un choix qui s’est imposé après des essais et des doutes. Comme quoi, le point de vue n’est pas qu’une question de style : c’est aussi une question de ressenti.
Et toi, en tant que lecteur ou auteur, quel est ton pronom préféré ?